SNUipp-FSU Espagne

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Bilan de la politique éducative depuis 2007

Un groupe de hauts fonctionnaires de l’Éducation nationale
fait le bilan de la politique éducative conduite depuis 2007
(pour exprimer un appel à voter … non repris ici)

 

TRIBUNE publiée dans Libération dimanche 18 mars 2011

Par LE GROUPE JEAN ZAY, qui réunit une vingtaine de hauts fonctionnaires de l’Éducation nationale

 

 

En nous exprimant publiquement, nous avons conscience du caractère inhabituel de notre démarche. Hauts fonctionnaires du ministère de l'éducation nationale, nous avons le souci de respecter un strict devoir de réserve et d'être parfaitement loyaux à l'égard du ministre, quel qu'il soit. Mais, aujourd'hui, nous estimons que nous avons un devoir de loyauté et de vérité plus grand encore à l'égard des citoyens. A nos concitoyens, et tout particulièrement à nos concitoyens des milieux populaires qui sont les grandes victimes de la politique éducative conduite depuis 2007, nous pensons qu'il est de notre devoir de dire la vérité sur la situation de l'éducation nationale. En dénonçant les risques de la politique actuelle nous voulons en particulier rester fidèles au message humaniste de Jean Zay, ce grand ministre du Front populaire qui est pour nous une référence irremplaçable.

Les problèmes rencontrés par notre école sont profonds et ne datent pas de 2007 ou même de 2002. Le souci bien-fondé des dépenses publiques ne doit cependant pas faire oublier la saignée sans précédent que vient de subir notre école : 77000 postes supprimés entre 2007 et 2012, de l'ordre d'un enseignant sur dix. Partout, des fermetures de classe, des problèmes de remplacement, des manques de personnels d'encadrement éducatif, des suppressions de personnels dans les services académiques, partout un besoin urgent de personnels sociaux et de santé, partout des classes pléthoriques dont la taille nuit à la réussite du plus grand nombre.

Élitisme et individualisme forcené

L'expression retenue par le gouvernement actuel pour décrire le sens de son action, «l'école pour chacun», en lieu et place de «l'école pour tous», cache difficilement le parti pris idéologique d'un élitisme et d'un individualisme forcenés dont seuls les mieux armés dès la naissance peuvent sortir gagnants. Au-delà des mots, c'est la pensée libérale débridée privilégiant la compétition permanente et généralisée qui gagne progressivement la sphère sociale et l'éducation. 

Les conséquences de cette politique ont été particulièrement désastreuses. Alors qu'une scolarisation précoce serait essentielle pour la réussite de tous, la quasi-disparition de l'accueil des enfants de moins de trois ans, dont la part est passée de 35% en 2002 à 11% en 2011 signe le choix du renoncement par ce gouvernement à la démocratisation de la réussite scolaire. Quelles conséquences dramatiques pour ceux qui sont marginalisés par la marchandisation de l'école (cours privés défiscalisés, manuels para scolaires...) et qui n'ont plus les mêmes armes pour réussir! Comble du cynisme, dans le temps même où l'on réduisait la durée de la scolarité à l'école maternelle, il s'en est fallu de peu pour que l'on imposât, en grande section, un étiquetage des élèves dits "à risques", voire "à hauts risques". Et que dire des milliers de postes de Rased (Réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté) qui ont été supprimés? On sait qui sont les premières victimes quand, à tous les niveaux, les crédits de bourses, de fonds sociaux et d'accompagnement éducatif diminuent.

Le cadeau démagogique et calamiteux du samedi matin

Les dirigeants actuels ont tenté de masquer le caractère profondément injuste de ces choix en faisant aux familles aisées le cadeau démagogique et calamiteux du samedi matin. En compensation, il avait été promis une aide de deux heures pour les élèves en difficulté. Elles ont été placées à la fin d'une journée de classe bien trop longue, au moment où chacun sait que les élèves ont le plus de mal à concentrer leur attention, ou en pleine pause méridienne, alors que toutes les études scientifiques ont établi que les enfants, notamment les plus jeunes, ont besoin de pauses pour bien assimiler les connaissances. Comment s'étonner de l'inefficacité de ces heures?

Que dire encore des programmes de 2008 pour l'école primaire, programmes peu en accord avec le socle commun de connaissances et de compétences qui est pourtant promis à tous? Comment le collège, auquel on a retiré de fait les moyens de faire acquérir ce socle commun, pourrait redresser la situation alors que 40% des élèves, trop souvent issus des milieux les plus défavorisés, arrivent en sixième sans maîtriser suffisamment le français et les mathématiques?

On a cherché dernièrement à rassurer les familles en affirmant que l'échec scolaire reculait! Le ministre actuel est même allé jusqu'à dire que, malgré la diminution du nombre des enseignants, les résultats scolaires s'amélioraient. On souhaiterait évidemment que cela fût vrai. Malheureusement, les évaluations internationales montrent de façon convergente que la place de la France se dégrade et que le nombre de nos élèves en difficulté augmente. Quant aux évaluations nationales en CE1 et en CM2, elles font l'objet de sévères critiques de la part du Haut Conseil de l’Éducation.

L'abandon du collège unique instituerait en réalité la fin de la scolarité obligatoire à seize ans et le renoncement à l'objectif du socle commun de connaissances et de compétences. La possibilité d'inscription en apprentissage à quatorze ans, permise aujourd'hui par la loi, condamne les élèves en difficulté au cloisonnement social et à l'immobilité professionnelle. Les responsables du ministère confondent ainsi la nécessaire diversité des méthodes d'enseignement avec la création de filières ségrégatives, alors que l'enseignement professionnel prouve qu'il peut être une voie de réussite qu'il faut donc promouvoir. Ce projet absurde est contredit par toutes les études internationales qui montrent les effets bénéfiques d'un tronc commun de scolarité le plus long possible. De plus, cette décision va à l'encontre des intérêts de notre pays: est-ce bien le moment de restreindre l'accès à l'enseignement secondaire aux enfants du peuple, eux qui y ont droit et qui représentent aujourd'hui une formidable chance d'augmenter le nombre de nos diplômés ? Fidèles à l'action de Jean Zay, ministre de l'ouverture à tous de l'accès à l'enseignement secondaire pour, écrit-il dans Souvenirs et solitude, «que les élèves de toute origine [s'y retrouvent] côte à côte», nous ne pouvons que condamner ce projet qui n'est même pas celui d'un « collège pour chacun », mais celui d'un collège du «chacun pour soi».

Très chers internats d'excellence

Autre duperie proposée aux familles populaires, l'assouplissement de la carte scolaire. Au bout du compte, il en est résulté une différenciation croissante des établissements selon le profil social de leur population, jusqu'à une vraie «ghettoïsation» de certains d'entre eux.

Soulignons encore les effets particulièrement négatifs d'une autre décision qui restera l'un des moments les plus noirs de l'école française, celle de la disparition de la formation professionnelle des enseignants. La «mastérisation» des concours de recrutement a été effectuée sans autre considération que de supprimer le coût de la formation des maîtres. De plus, mise en œuvre sans mesure sociale d'accompagnement, elle pénalise fortement les candidats des milieux populaires. Les nouveaux enseignants ne sont plus préparés pédagogiquement à l'exercice de leur métier, ce qui compromet la qualité de l'enseignement. Cette absence de formation professionnelle est dramatique pour ces enseignants comme pour leurs élèves.

Enfin, la mesure la plus représentative d'une politique en trompe-l'œil est bien celle des internats (dits) d'excellence. Au motif d'améliorer la réussite d'élèves méritants d'origine défavorisée, on en a extrait un petit nombre à grand frais : 2200 élèves (0,02%) ont ainsi rejoint 26 internats d'excellence pour un coût exorbitant de 500 millions d'euros (l'équivalent de 12 000 postes). Que n'aurait-on fait en matière d'éducation prioritaire avec de telles dotations! On pourrait recommander aux dirigeants actuels la lecture du philosophe Alain lorsqu'il écrit «Il faudrait agir tout à fait autrement [et] instruire le peuple tout entier [...] tout l'effort des pouvoirs publics devrait s'employer à éclairer les masses par le dessous et par le dedans, au lieu de faire briller quelques pics superbes, quelques rois nés du peuple, et qui donnent un air de justice à l'inégalité.»

Parce que nous croyons encore que l'école française doit être celle de la générosité et de la solidarité, nous voulons mettre fin à la destruction de notre école républicaine et participer à sa refondation. Nous affirmons qu'il n'y a pas de plus grande urgence que de remettre en place une véritable formation des personnels d'enseignement et d'éducation, de revoir les rythmes scolaires, de donner la priorité à l'école primaire dans l'action pédagogique comme dans l'attribution des moyens, de faire acquérir par tous le socle commun de compétences et de connaissances, de revaloriser les voies technologique et professionnelle, de s'attaquer enfin à ce scandale absolu des 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système éducatif sans qualification.

[...]

 



20/03/2012
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